Les Solèls de Trovic
Une odyssée cousue main
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Les Solèls de Trovic

Jacques Trovic artiste majeur.

PAR Francine Auger Rey THÈME Analyse TAGS hommage | l'homme Trovic | oeuvre | publications COMMENTAIRES 0
Jacques Trovic chez lui à Anzin, le 6 novembre 1998. ©Dominique Rohart
Jacques Trovic chez lui à Anzin, le 6 novembre 1998. ©Dominique Rohart

S'interroger sur ce qu'est un artiste majeur

  • Si l'on considère le nombre d'oeuvres, entre 300 et 400, le nombre d'expositions personnelles qu'il a faites en France et en Europe,
  • si l'on considère que certaines de ses oeuvres se sont retrouvées aux Etats unis, dans les Pays de l'Est, en Amérique du Sud, au Japon,
  • si on pense que ses tapisseries sont conservées au MUBA de Tourcoing, au Centre Historique Minier de Lewarde, au Musée d'Art Naïf et d'Arts Singuliers de Laval, à la Fabuloserie à Dicy en Bourgogne, au Musée du textile de Cholet, dans les musées d'arts singuliers de Nice, Montpellier, Bègles, à la Fondation Paul Duhem en Belgique, au Musée Art et Marges de Bruxelles, au Musée d'Art Brut de Lausanne en Suisse...

Alors on peut dire qu'il y a là des éléments qui nous permettraient de répondre positivement à cette question. Mais Jacques Trovic est un artiste majeur pour d'autres raisons, bien plus profondes

Une place unique dans le panel des artistes du Nord

Il a choisi comme mode d'expression essentiel, dès son enfance, la tapisserie. Plus exactement le patchwork rebrodé et orné. Il pratiquera la mosaïque et la peinture plus tard et de manière épisodique. S'il s'est déterminé dès ses 16 ans à être un artiste, ce n'était pas en vue de faire passer ses états d'âmes et questionnements sur l'existence par son oeuvre.

Il fixe sur sa toile de jute, un moment qui fait communauté : le marché, le bal, le travail à la mine, les jeux d'enfants et tant d‘autres. De nombreux thèmes développés par Jacques Trovic dans son oeuvre relèvent de ces plaisirs simples et collectifs, de cette célébration du bonheur de vivre et du partage : les carnavals, le cirque, les fanfares et fêtes, les loisirs accessibles à tous : de l'étang de pêche au bal du 14 Juillet. Mais par ailleurs, à travers la représentation du monde du travail et de la mine, « c'est la gloire d'un peuple qu'il célèbre » (Alin Avila dans le film « les Solèls de Trovic »).

Il a puisé ses sujets dans tout ce qui lui était très proche, ce qui faisait la culture populaire commune du territoire du Nord. C'était un artiste essentiellement figuratif, même quand il pensait faire de l'abstrait. On reconnaît les oeuvres abstraites à ce qu'aucun personnage ne s'y trouve, alors que toutes ses autres oeuvres sont bourdonnantes de vies.

Un photogramme extrait du documentaire Les Solèls de Trovic
Une broderie de laine au point lancé sur une base de toile de jute, des morceaux de tissus cousus - La Scène espagnole (détail)

Il ne s'est pas inquiété de remettre en question le langage et les techniques de son art. Il avait mis au point de manière très pragmatique, dès sa première oeuvre connue et conservée - « La Scène espagnole » (1964) -, une technique qui restera la base de son travail. Une broderie de laine au point lancé sur une base de toile de jute, à laquelle il a rajouté des morceaux de tissus cousus, parfois rebrodés et plus tard des accessoires décoratifs qui à ses yeux augmentaient le « réalisme » de ses représentations .

Un des effets surprenant de n'importe laquelle de ses oeuvres sur les spectateurs est qu'elle est sans cesse appréhendée de deux manières à la fois, comme dans les tableaux de Bruegel : le regard oscille sans cesse de la globalité de la scène aux détails et le jeu est infini, toujours renouvelé. C'est un des secrets de l'attachement de tout spectateur à cette oeuvre. Chacun de ses sujets fait communauté, il absorbe par sa mise en scène et ses détails tous ceux qui le regardent, il les inclut dans le champ de l'oeuvre. La référence cinématographique n'est pas un hasard. Jacques Trovic aimait faire de très grandes oeuvres. Peut-être avait-il l'intuition qu'il fallait ces dimensions pour que le regardeur se sente inclus dans l'oeuvre, enveloppée par elle. Les « tableaux » de Trovic sont toujours des arrêts sur image et provoquent notre propre arrêt devant la scène proposée. Une multitude de détails nous renvoie à notre propre mémoire de scènes semblables. A travers ces détails, nous reconnaissons une réalité qui nous est proche. On s'approprie l'oeuvre comme document et comme nous concernant personnellement. Ce processus est rare dans l'art. De plus chez Trovic la vibration des couleurs, qui est une part de son génie, est un élément important du charme que l'oeuvre exerce sur nous.

Mais cette notion d'artiste majeur m'oblige à penser l'oeuvre de Jacques Trovic au regard de l'Histoire et de l'Art. Pour moi, un artiste majeur l'est en ce qu'il modifie de manière sensible et parfois réflexive, mon point de vue - au sens spatial du terme - sur le monde. L'artiste majeur introduit, entre ce qui est communément admis et ce qu'il crée, un décalage qui révéle par cette brèche d'autres horizons qui nous aident à repenser le monde. Pour cela, sciemment ou à son insu, il crée un nouveau langage artistique ou plus précisément plastique. L'artiste majeur introduit un mouvement dynamique entre l'oeuvre, le regardeur et le monde.

Un photogramme extrait du documentaire Les Solèls de Trovic
L'oeuvre de Jacques Trovic apparaît, dès l'origine comme un documentaire réjouissant sur sa région - extrait du documentaire Les Solèls de Trovic

En quoi Jacques Trovic est-il un artiste majeur ?

Sans aucun doute par la place unique où il s'est situé face à l'histoire de son territoire, le Nord-Pas-de-Calais.
Les proches de Jacques Trovic témoignent de ce lien étroit devant la caméra du film « Les Solèls de Trovic »

« Quand je rencontre Jacques Trovic, je rencontre quelqu'un qui justement a un sens du collectif. Il vit dans une région éprouvée et il a une attitude de grande dignité vis à vis de cette situation et il a ce sens du commun et du monde public. C'est ce qui le nourrit, c'est ce qui nourrit ses oeuvres, et c'est au coeur de sa démarche puisque c'est une volonté chez lui de montrer les gens dans leur contexte, dans leur univers et dans leur mode de vie qui l'habite. »
Jean Louis Cerisier, artiste. (L'homme d'un territoire - 00:59:10)
« Et ça me parle de quoi ? D'un monde défait qui veut tenir. C'est lui ! Il avait tout pour partir à l'asile, tout pour être condamné par la société et qu'est ce qu'il décide ? Il décide dans son quartier, dans sa rue, dans son village, d'être celui qui en parle, celui qui s'affirme. Il y a pas de beauté plus grande à dire JE de cette manière là. »
Alin Avila, critique d'art. (L'homme d'un territoire - 01:05:19)

L'histoire du Nord et l'histoire de Trovic ont des points communs essentiels et c'est par là qu'on peut affirmer que c'est un artiste majeur.

L’industriallisation et la désindustriallisation de ce territoire a montré la capacité du peuple du Nord à vivre les cataclysmes sociaux et économiques les plus brutaux en poursuivant la scansion des plaisirs les plus simples qui, de manière discrète, préservait la vie collective d’un groupe social acharné à aimer la vie. L'effort titanesque pour s'arracher à une histoire destructrice, à créer de nouvelles raisons de vivre, de nouvelles valeurs sur lesquelles s'appuyer... ce mouvement, on peut le retrouver dans la vie de Jacques Trovic, qui, cumulant pauvreté, maladie, handicap et relégation, avait fait par ses oeuvres lumineuses un don au monde et conquis le droit irrépressible d'exister. Le geste de création artistique, est ce geste ultime de liberté.

Par le mouvement de sa vie et de son oeuvre, Jacques Trovic est la métaphore de son territoire en suite de quoi il en devient l'emblème.
En ce sens Jacques Trovic est un artiste majeur.


Extrait d'un article paru dans « La revue du Printemps Culturel du Valenciennois » N°82 Oct/nov/déc 2023
Télécharger l'article complet : Page 2 de la revue au format PDF

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A propos du film ❝Les Solèls de Trovic❞

Ce documentaire raconte l'histoire d'un homme né en 1948 dans une ville du Nord : Anzin, cité de la fin des mines et de la sidérurgie moribonde.

Dès l'adolescence, sur la table de la cuisine obscure de sa maison de courée, il fait jaillir, malgré ses handicaps et son milieu rude et modeste, une oeuvre lumineuse et colorée.

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